Aligner l’âge de la pension sur l’espérance de vie ? Oui, mais alors sur l’espérance de vie en bonne santé

Le Danemark relève l’âge de la pension à 70 ans pour tenir compte de la hausse de l’espérance de vie. La question que beaucoup se posent donc est : la Belgique va-t-elle suivre cette voie ? Lode Godderis, CEO du service externe de prévention IDEWE et professeur en médecine du travail à la KU Leuven, met fortement en garde contre le choix de l’espérance de vie pure comme critère au lieu de l’espérance de vie « en bonne santé ». En outre, il affirme que nous pouvons apprendre beaucoup des Danois pour parvenir à combiner des pensions abordables et un âge de départ à la retraite viable.

Une actualité particulièrement marquante ces derniers jours : le Danemark relève l’âge de la pension à 70 ans. La raison ? L’espérance de vie ayant augmenté, il est logique que l’âge de travailler évolue lui aussi. Mais est-ce si logique ? Et s’agit-il d’un système que nous devrions également envisager en Belgique ?
 
Tout d’abord, le fait que nous devions travailler plus longtemps pour maintenir les pensions à un niveau abordable est une question politique et budgétaire sur laquelle je ne me prononcerai pas. Toutefois, notre rôle en tant que secteur de la prévention est de veiller à ce que l’allongement de la carrière soit organisé de manière à préserver la santé physique et mentale des travailleurs de notre pays.

La qualité de vie comme référence plutôt que l’espérance de vie

Ma plus grande inquiétude concernant le modèle danois est qu’il se base sur l’espérance de vie en tant que paramètre quantitatif pur, au lieu de partir d’un paramètre qualitatif. Alors que l’espérance de vie au Danemark est en moyenne de 81 ans, l’espérance de vie « en bonne santé » pour les personnes âgées de 65 ans aujourd’hui est de 76 ans. Ainsi, en tant que retraité danois à partir de 70 ans, il ne vous reste, en moyenne, que six ans pour profiter de votre pension en bonne santé. Une période courte qui, en outre, ne fera que se rétrécir à mesure que l’espérance de vie globale (et donc l’âge de la pension qui y est lié) augmentera plus rapidement que l’espérance de vie en bonne santé.

N’avons-nous donc rien à apprendre du Danemark ? Si, car ce pays présente toute une série de caractéristiques structurelles, culturelles et politiques qui compensent fortement l’écart entre l’âge de la pension et l’espérance de vie en bonne santé.

Flexibilité, sécurité, réintégration, formation continue et prévention

Le pays dispose par exemple d’une énorme flexibilité du travail grâce à son modèle de flexisécurité. Ce modèle combine un marché du travail flexible, des carrières « à la carte » et un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée avec un solide filet de sécurité sociale et des investissements importants dans les politiques d’activation du marché du travail. Cet équilibre « flexibilité et sécurité » favorise un taux d’emploi élevé et un retour au travail rapide après un licenciement, ce qui contraste fortement avec nos structures de travail rigides.

Le Danemark a également une politique forte en matière de prévention de l’absentéisme et de réintégration, axée sur la confiance et l’aide, tandis qu’en Belgique, nous restons confrontés à des taux d’absentéisme très problématiques en raison de l’importance que nous accordons au contrôle et à la punition. Depuis des années, et pas plus tard que l’année dernière avec la publication de mon manifeste pour la réintégration et de mon livre « Vertrouwen zonder Voorschrift », je plaide en faveur d’un changement social nécessaire des mentalités par rapport à cette problématique.

Le Danemark est également fort en matière de confiance, de dialogue social, de mobilité professionnelle et de prévention générale en ce qui concerne le bien-être psychosocial et l’employabilité durable. Même la culture générale autour du travail et de l’âge est différente : alors que les entreprises et les travailleurs danois considèrent l’allongement de la carrière comme valorisant et utile, en Belgique, nous restons attachés au cliché du travailleur âgé et « superflu » et à l’aspiration à la pension anticipée.

Pour résumer, aligner l’âge de la pension sur l’espérance de vie en bonne santé pourrait être un système viable en Belgique également, à condition que nous prenions la qualité de vie comme critère. Mais je crois encore plus en l’adoption d’un certain nombre de principes danois beaucoup plus fondamentaux, dans notre quête d’un système qui réponde aux besoins essentiels de notre pays : des pensions abordables associées à un âge de départ à la retraite viable et flexible.

Lode Godderis, CEO du service externe de prévention IDEWE et professeur en médecine du travail à la KU Leuven

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